Droit à la preuve : pas de rejet automatique des modes de preuve illicite

Droit à la preuve : pas de rejet automatique des modes de preuve illicite

Cass. Soc, 25 novembre 2020 n°17-19.523

L’affaire :

Un salarié est licencié pour faute grave, pour avoir adressé à une entreprise cliente et concurrente de son employeur, des courriels en usurpant l’identité de sociétés clientes. Il saisit la juridiction prud’homale, pour contester la rupture de son contrat de travail.

Pour justifier du licenciement, l’employeur produit, au cours de la procédure, un constat d’huissier et d’un expert informatique identifiant le salarié – auteur des faits grâce à son adresse IP.

Problème : Le salarié dont le licenciement est jugé justifié par la juridiction d’appel conteste la recevabilité de la preuve fournie par son ancien employeur.
En effet, s’agissant d’une donnée à caractère personnel, il aurait dû faire une déclaration préalable à la CNIL.

Décision :

La Cour de cassation confirme – contrairement à la juridiction d’appel – que la collecte de l’adresse IP du salarié devait être soumise, à une déclaration préalable auprès de la CNIL. A ce titre, le mode de preuve utilisé par l’employeur n’est pas licite, au sens de la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978.

En revanche, l’arrêt rappelle qu’en application des articles 6 (sur le droit à un procès équitable) et 8 (sur le respect de la vie privée) de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit à la preuve peut justifier la production en justice de pièces portant atteinte à la vie privée du salarié.
En cette hypothèse, le juge doit apprécier si l’utilisation de cette preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que cette atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Portée de la décision:

C’est la deuxième fois en deux mois que la Cour de cassation se penche sur la question de la recevabilité d’un moyen de preuve produit par un employeur, pour justifier un licenciement pour faute grave.

Rappelons que dans un arrêt rendu le 30 septembre 2020 (n°19-12.058), la Cour de cassation avait refusé d’écarter des débats judiciaires la preuve provenant du compte privé Facebook d’une salariée, établissant ses agissements fautifs (divulgation d’une information confidentielle de l’entreprise à des personnes extérieures dont certaines travaillant chez des concurrents). L’argument tiré de l’intrusion de l’employeur dans sa vie privée (compte Facebook) n’avait pas été retenu.

Pour les Magistrats, cette pièce portait atteinte à la vie privée de la salariée mais, sa production était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.

Ainsi, l’arrêt du 25 novembre 2020 confirme une évolution de la jurisprudence qui – en tout cas dans ces deux affaires – fait prévaloir le droit à la preuve sur celui de la vie privée du salarié.

A noter en outre, que la nature des fautes commises par les salariés dans ces deux affaires est assez similaire.

A l’inverse lorsque le caractère indispensable à l’exercice du droit de la preuve n’est pas rapporté, cela ouvre droit au salarié à une réparation du préjudice subi du fait de la violation de sa vie privée (Cass, soc, 12 novembre 2020 n°19-20.583).